Titre de cet article très énigmatique me direz-vous. J'en conviens.
Habituellement sous "La Petite Verrière", on parle de choses légères, de bricoles, mais le sous-titre du blog contient aussi le mot "partage".
Aujourd'hui je tenais vraiment à vous faire partager mon émotion, pour une réalisation à laquelle j'ai très modestement contribué.
Mon amie Bruna m'a demandé si je pouvais graver un tampon pour des élèves de CM2 de l'école de son village et leur institutrice Annelise (j'adore employer le mot "institutrice", on se sent chez Pagnol...).
Merci Bruna de m'avoir entrainée dans cette aventure. Encore une fois, j'ai plus reçu que j'ai donné, comme bien souvent.
Ce tampon devait permettre, chaque fois qu'il était apposé sur un livret créé par les enfants, de signaler leurs mots, leurs réflexions.
En fait, grâce au tampon, ils prennent le micro et ils tenaient à s'appeler " la génération K " !
Voici pour l'explication de la deuxième partie du titre de cet article.
Mais qui était LÉON GUILLOT ?
C'était un soldat de leur village, mort pendant la guerre de 1914-1918. Il était poète, écrivain, licencié es lettres. Il est décédé à 33 ans le 20 mai 1915. Il est cité au Panthéon à Paris.
"Le Souvenir Français" a organisé un concours pour les classes de CM2, honorant des écrivains, des poètes disparus pendant la Grande Guerre.
La rédaction du livret fut un travail de longue haleine durant une année scolaire. Les 22 élèves de la classe ont tous participé, conçu, découpé, peint, écrit, dessiné, et beaucoup réfléchi.
Les idées viennent d'eux, Annelise ne faisant que guider, aidant à la mise en œuvre, au travail de recherche auprès des archives départementales, et d'un membre de la famille. Chaque idée a été mûrement pensée et soumise au vote collectif de la classe.
Quelques mois après avoir gravé le tampon, j'ai été conviée dans la classe pour voir le résultat.
Je m'attendais à trouver des dessins d'enfants, certes sur un sujet grave...mais j'ai été bouleversée!
J'ai vu de véritables chefs d’œuvre qui véhiculaient une immense émotion.
Avec beaucoup d'intuition et de sensibilité, les enfants se sont emparés de cette histoire.
Dotés aussi d'une grande empathie pour Léon Guillot, ils ont composé jour après jour leur livret.
Boris Cyrulnik nous dit "l'empathie est la possibilité de se représenter le monde de l'autre"...
Je vous laisse découvrir leur création.
Cette fenêtre qui s'ouvre, présente Léon Guillot, et je trouve cette gouache aux allures d'aquarelle de toute beauté !
Les couleurs vives très affirmées, tranchées et très appuyées des feutres pour l'implacable Ordre de Mobilisation Générale. C'est un ordre, on ne déroge pas.
Conception toute différente, et contrastante avec le dessin ci-dessous aux crayons de couleurs.
Il est infiniment plus doux.
Les soldats sont rassemblés sur le quai de la gare, serrés les uns contre les autres pour essayer d'avoir moins peur...sous la fumée à tête de mort de la locomotive.
Les fusils penchés tous dans la même direction accentuent encore cet effet de cohésion.
Ici les enfants ont senti toute la cruauté de l'expression
" partir la fleur au fusil ".
Terre, boue, rats, arbres transformés en squelettes, pluie d'obus, hommes couchés et rampants pour illustrer le quotidien des deux côtés des tranchées.
Sobriété en deux couleurs ici, avec ce collage.
Le tunnel noir descend dans les bas-fonds tel un toboggan.
Le jeune soldat, dans un moment de solitude écrit un poème à la mémoire d'un ami tombé.
Léon Guillot évoque aussi les moments de solidarité, et d'échanges de pain et de cigarettes entre les deux camps.
Les Enfants: ..." Lire tes lettres et ne jamais ressentir de haine envers l'ennemi
"...
Léon Guillot : " La guerre, c'est toujours avoir le fusil à la main
et l'on descend un bonhomme parce que sa coiffe ne ressemble pas à la
nôtre.
" 8 décembre 1914.
Les Enfants : " Pour nous qui sommes la génération d'images, c'est une confrontation poignante : des mots et uniquement des mots pour saisir ta réalité au front qui se confond avec un sinistre cauchemar ".
Et voici ci-dessous le dessin qui m'a le plus remuée.
Les enfants ont réussi à retranscrire dans toute son horreur, l'épouvante sur les visages des soldats lors de la montée au front.
Des yeux dilatés par l'effroi, une bouche semblable à celle du personnage du tableau " le Cri " de Munch (1893) (clic ICI).
Universalité de la terreur...
Avant même son départ, le jeune soldat poète avait rédigé son épitaphe griffonnée rapidement au crayon, avec des "blancs" à remplir. Il doutait de son retour...
J'aime ces fleurs, éclatantes de lumière qui accompagnent le mot PAIX.
Nous retrouvons ici le feutre et ses couleurs appuyées, mais pour un ordre tout autre que l'ordre de mobilisation. Ici c'est une injonction à la PAIX.
Tous les dessins n'ont pas été retranscrits ici. Le livret est plus complet et plus détaillé.
Les enfants ont été récompensés par le "Prix Spécial du Jury".
Pourquoi ce travail sur cette histoire triste et funeste nous a tous tant émus ?
Tout d'abord parce que cette histoire est triste et funeste, elle a touché et décapité toute une génération d'hommes jeunes, et c'était "il n'y a pas si longtemps".
Parce que le ton est très juste entre les paroles entremêlées des enfants et celles de Léon Guillot.
Et les enfants interpellent Léon Guillot directement, le tutoient.
Parce que Léon Guillot par ses écrits et ses poèmes, et par son humanisme toujours conservé au cœur de cette période trouble, a su 100 ans après, impulser chez 22 élèves de CM2 ce travail de mémoire dans le respect et la compassion.
Dans ses courriers, il ne ressort aucune de haine, aucune rancœur envers l'ennemi.
A l’heure d'aujourd'hui, c'est rassurant, émouvant et très puissant de voir cette jeune génération, dans le sillage d'un poète écrivain du siècle dernier, inscrire en lettres majuscules le mot PAIX.
Il me plait de penser, que si à l'âge adulte, une tentation belliqueuse s'ouvre devant un de ces enfants, un petit fil ténu alors le reliera à cette rencontre avec Léon Guillot.
Parce que comme me l'avait dit un vieil ami peintre, chez les enfants le cerveau droit est directement relié à la main. C'est celui de la créativité, de la spontanéité, celui des émotions et du non dit.
Il n'est pas encore trop sous l'influence du cerveau gauche, celui de l'apprentissage, de la rigueur. C'est pourquoi on découvre tant de perles dans les dessins d'enfants.
Mais aussi parce que le frère ainé de ma grand mère a disparu à 25 ans dans cette même guerre, disparu sans tombe, il n'est resté qu'un nom gravé sur le Monument aux Morts du village.
Ma "mémée" avait alors 12 ans et dans sa grande vieillesse, ses yeux se mouillaient toujours lorsqu'elle me parlait de lui.
Un grand MERCI à Annelise et aux enfants de sa classe !