Coup de cœur pour ce livre d'Irène Frain que je tenais à partager avec vous !
J'avais déjà été scotchée par la si belle écriture et la construction parfaite de son livre "Les naufragés de l'île Tromelin".
Ici, pas de roman d'aventure. C'est un écrit intimiste.
L'auteur est née en 1950. Elle nous parle de ces années d'après guerre et de son arrivée dans une famille ouvrière pauvre.
Son rapport particulier avec sa mère va déterminer très jeune sa vocation d'écrivain.
L'écriture est précise, détaillée, un peu comme celle d'Annie Ernaux qui elle aussi sait si bien nous parler de la honte, des plongées dans les boites de photos à scruter les visages pour tenter de comprendre les non-dits de ces années-là.
Les femmes du quartier se retrouvent autour de la table de la cuisine, sous laquelle se cache la petite Irène.
Cette dernière nous décrit magnifiquement le rituel du "jus", ce breuvage fait "d'un mélange de chicorée en poudre et de café fraichement moulu".
"...Pendant une heure ou deux, elles vont se parler. Ce sera une sorte de chant alterné; la voix de l'une ne se sera pas tue qu'aussitôt celle de l'autre prendra le relais....ma mère...a des gestes d'officiante. Et ne déroge à aucune règle du cérémonial. Pour qu'un jus soit un jus, il faut impérativement le servir dans des verres Duralex, ceux qu'on utilise tous les jours. On doit aussi les poser à même la toile cirée. Si elle sortait une nappe et la fine porcelaine de son service de mariage, les paroles resteraient coincées au fond du gosier. Et avec elles le jus de la vie."
Extrait de "La fille à histoires" d'Irène Frain, éditions Seuil. Septembre 2017.