jeudi 27 novembre 2025

Trésors de couture (2)

 

Dans les armoires de ma mère, d'autres trésors m'attendaient....

L'immense meuble en chêne, dont le grincement des portes me faisait toujours un peu peur lorsque j'étais enfant, s'ouvrit ce jour de Novembre dans la vieille maison glacée, sur une très belle surprise. 

Cachées au milieu de piles de chemises et de caleçons de coton blanc garnis de festons, de dentelles (les sous-vêtements d'autrefois), la très belle nappe monogrammée et ses serviettes faisant partie du trousseau de ma grand-mère Jeanne, me firent instantanément de l’œil. 

Bien broder son trousseau était la marque du sérieux de la future maitresse de maison. Ce linge rangé dans l'armoire dédiée, portait toujours le monogramme de la jeune fille et non celui de la femme mariée. Broder son trousseau à la main, point après point, était un acte lent, qui prenait du temps, et permettait, au fil des mois voire des années, de réaliser que l'on passait du statut de jeune fille à celui d'épouse. 

En recoupant les dates, ce trousseau a dû être débuté dans les années 1929, 1930. 

Les serviettes, au blanc délicat et parfaitement net malgré les années, sont immenses. Il fallait protéger "largement" les robes de fêtes des dames et les costumes des messieurs lors des repas de famille ! 

La nappe a elle seule semble être une démonstration des infinies possibilités de la broderie (mince échantillon ci-dessous avec déjà de nombreux points) .

 

Je remarquais alors en inspectant mes trouvailles, que les monogrammes brodés des différentes serviettes et de la nappe n'étaient pas tous de la même qualité. 

Je me suis alors inventée une petite histoire, qui me semble les jours passant, de plus en plus crédible pour ne pas dire totalement réaliste. 

Jeanne ma grand-mère était la benjamine de sept enfants, d'abord trois garçons puis quatre filles. Elle n'a pas dû réaliser seule son trousseau. Je les imagine, les quatre sœurs assises au coin du poêle à bois, autour de ce beau tissu, brodant avec grand soin après leur journée de travail, piquant inlassablement leur aiguille, papotant, riant à la lumière déclinante du jour. 

Marie et Marthe n'avaient pas des métiers manuels. Henriette et Jeanne, elles, avaient les doigts agiles.

J'ai volontairement rapproché les photos des différents monogrammes. Je les ai classés du plus imparfait au plus réussi. "Imparfait", le mot est peut-être un peu péjoratif, car il est déjà de belle facture et je ne sais si je serais capable de faire de même...

Tout le monogramme est à détailler, mais si l'on se penche sur le corps des papillons, les premiers sont un peu boursoufflés alors que ceux de la dernière photo sont parfaits. 

Passons ensuite aux courbes des lettres. Celles de la troisième photo sont élégantes, régulières, harmonieuses.

Parties d'un même modèle, les quatre sœurs en ont donné chacune une interprétation un peu différente en fonction de leur habileté et je pense aussi de leur patience. 

 

Cette découverte m'a enchantée ! Un siècle après, j'avais dans mes mains l'image des quatre sœurs très proches en âge (une seule année se glissait entre chacune), toujours très unies dans leur vie, habitant le même village. Je les ai connues âgées, ridées, les cheveux blanchis. 

A ces différents monogrammes se superposèrent les rares photos sépia prises chez un photographe, trouvées dans la même grande armoire. Il me fut alors facile de les imaginer, brodant côte à côte, leurs têtes proches, penchées sur leur ouvrage, dans leur lumineuse jeunesse.